La Constituante

1789 – La Composition de l’Assemblée nationale constituante

 

En donnant au Tiers un nombre de députés égal à ceux des deux autres ordres réunis, Necker enleva aux deux ordres privilégiés le contrôle des États Généraux et favorisa, dans une certaine mesure, le mouvement révolutionnaire.

Il est bon de le rappeler que le droit de vote du clergé souleva un tollé de protestations de la part du haut clergé et des communautés religieuses. L'ensemble du clergé lorrain vota à deux degrés. Au premier degré, participaient les évêques, les abbés, les prieurs, les curés et les chapelains, titulaires d'un bénéfice ecclésiastique. Les membres des chapitres d'hommes (chanoines), quoique titulaires d'un bénéfice plus  conséquent que celui des curés, ne disposaient que d'une voix par dix personnes ; ceux des chapitres de dames et des autres communautés religieuses des deux sexes, d'une voix par établissement. Aussi, après les votes définitifs, la députation du premier ordre comprenait-elle :

 

Ø 208 curés, en majorité des campagnards

Ø 47 évêques

Ø 35 abbés.

 

Du fait de la solidarité des curés avec lui, le tiers disposait ainsi d'une majorité concrétisée, dès les premières semaines, par le projet de se réunir en commun et non par ordre, ainsi que celui de voter par tête et non par ordre. Le clergé réunit 148 voix - 145 curés et 3 évêques - sur ces projets contre 136 opposants.

 

12 Août 1789 – La Création  du Comité ecclésiastique

 

Pour mettre un terme aux abus du haut clergé que je vous ai présentés dans la section « L’Église de France sous l’ancien régime », l'Assemblée nationale créa un Comité ecclésiastique, choisi parmi les membres du clergé, et le chargea de la réorganisation de l'Église de France :

 

« M. Chasset fait ensuite une motion tendant à la nomination de plusieurs comités, pour l’exécution de l’arrêté pris le 11 :

1° D’un comité de quinze personnes choisies au scrutin dans les bureaux, et parmi les membres n’ayant aucune fonction particulière dans l’Assemblée, pour préparer le travail des affaires du clergé ;… »

Archives parlementaires / BNF - Gallica

 

2 novembre 1789 – La Sécularisation des Biens de l'Église

 

Dès le 10 octobre 1789, un député, celui qui, en tant qu'agent général du clergé de France, intercéda, lors de l'assemblée générale du clergé de 1782, en faveur des prêtres misérables du bas clergé, ce neveu de l'archevêque de Reims, lui-même évêque d'Autun - vous avez reconnu Charles Maurice de Talleyrand-Périgord, député du clergé, issu de la noblesse et non du Tiers -, proposa la sécularisation des biens de l'Église à l'Assemblée nationale. Après trois semaines d'âpres discussions, le 2 novembre 1789, à une très forte majorité, l'Assemblée décida que 1es biens ecclésiastiques seraient mis à la disposition de la Nation : désormais l'État se chargeait des frais du culte et des émoluments des ministres du culte. Le décret du 9 avril 1790 met à la charge de l’État  les dettes du clergé et celui du 14 avril 1790, les dépenses du culte catholique.

Le  7,  l’Assemblée plaçait  les biens ecclésiastiques  sous  le contrôle  de  l’État et, le 19,  créait  la Caisse de l’extraordinaire, alimentée par la vente de ces biens, par la contribution patriotique et par toutes les autres recettes dites extraordinaires. Ce même jour, Elle crée - art. 4 du décret - les assignats sur la Caisse de l’Extraordinaire. Compulsant le dictionnaire de la Révolution1) :

 

« Une fois décidée la vente des biens du clergé au profit de la nation, la Constituante vote l’émission de 400 millions d’assignats, c’est-à-dire « billets assignés sur les biens du clergé ».  Cette première émission de 400 millions est composée exclusivement de billets de 1 000  livres portant intérêt à 5 %. L’assignat n’est donc à la fin de 1789 qu’une valeur mobilière gagée sur les biens immobiliers enlevés à l’Eglise. »

1) Dictionnaire de la Révolution, sous la direction de Jean-François Fayard, avec le concours d’Alfred Fierro et Jean Tulard

 

13 Février 1790 – La Suppression des Ordres religieux

 

Après la sécularisation des biens de l'Église, la Nation, nouveau propriétaire de ces biens, subvenait aux frais du culte et à l'entretien du clergé ... chargé de ce culte. Elle salariait les ministres du culte, « ses officiers de morale et d'instruction », selon les propres termes de Mirabeau, mais ne voulait plus rémunérer les ministres sans portefeuille. Aussi l'Assemblée nationale interdit-elle, par un décret du 28 octobre 1789, passé inaperçu, les voeux solennels dans tous les monastères. Interdiction provisoire.

Enfin, le 13 février 1790, corollaire des 28 octobre et 2 novembre 1789, l'Assemblée interdit d'une manière définitive la prononciation des voeux solennels, supprima tous les ordres religieux, existants ou à venir, sur le territoire national et rendit leur liberté aux religieux qui le désiraient. Par cette interdiction des voeux, le décret visait aussi bien les soignants et les enseignants que les contemplatifs; et ce, contrairement aux desiderata de la majorité du tiers-état. Au cours de la discussion, Pierre Louis Roederer, le député messin, intervient, le 12 février. Ci-après, je vous donne in extenso le récit de son intervention.

Le 20 février, elle détermina le montant des pensions que la Nation allouait aux religieux. Ce montant variait selon l'ordre religieux, selon la dignité et selon l'âge. Étaient maintenues provisoirement les congrégations chargées de l'éducation et celles de charité.

 

« M. Roederer. Messieurs, vous avez chargé votre comité ecclésiastique de vous présenter nécessairement un plan de constitution ecclésiastique. Ce plan ne vous est pas encore soumis ; cependant ce même comité ecclésiastique vous propose aujourd’hui de prononcer sur le sort des corps et communautés religieuses.

 Je ne comprends pas comment on vous demande de statuer sur des détails, après que vous avez décidé que d'abord vous embrasseriez l’ensemble. Cette marche, contraire à vos décrets, l'est aussi à la saine logique ; car, Messieurs,  il n'y a qu'une seule question à examiner relativement aux moines ; c'est de savoir si le culte public exige d'autres officiers que des évêques, des curés et des vicaires, et s'il exige aussi  des reli­gieux. Je dis que la question se réduit à ce point, parce que si l’on parle des intérêts de la culture que les moines ont fait prospérer, je dirai que nos institutions politiques feront désormais prospérer l'agriculture, en attirant tous les propriétaires dans les campagnes. L’on me parle de l'intérêt des sciences que les moines ont cultivées ; mais notre constitution encourage ceux qui s'y livreront à l'avenir. Si on me parle des aumônes que les moines ont répandues, je dirai que l’assistance des pauvres est une charge publique et qu'indubitablement nous chargerons des institutions politiques de la quête ; si l'on me parle de la vocation de certains hommes pour la vie sédentaire, solitaire, contemplative, je  dirai  que nos lois  n’empêcheront personne d'être ou dans sa chambre ou dans un désert ; mais que la société ne doit pas davantage, faire les frais d'un couvent pour les gens qui   veulent penser sans agir et sans parler ; si l'on me parle enfin de l'éducation publique et des maisons de charité, je répondrai que ce n'est pas comme moines que quelques religieux se sont voués à l'éducation publique ou aux hospices de charité, mais comme citoyens ; qu'ainsi on peut fort bien dé­truire en eux le caractère monacal et en même temps honorer et récompenser leurs services publics...

Je reviens donc à ma proposition et je dis qu'il n'y a d'autre question à examiner relativement aux moines, que celle de savoir s'ils sont nécessaires au culte, ou s'ils ne le sont pas. Mais pour le savoir, il faut que le plan du comité soit présenté, que les besoins du culte soient connus, que les fonctions du culte soient déterminées ; que les différents caractères sacerdotaux, celui de la sécularité et celui de la régularité soient comparés, pour que l’on juge lequel de ces caractères convient le mieux au culte. Il faut évidemment passer par tous ces points, avant d’en venir à décider si l’on conservera ou si l’on supprimera les moines. Que le comité propose donc d’abord son plan général, qu’il nous découvre les bases de l’édifice et l’espace qu’il doit occuper avant de nous proposer d’en construire une partie ; autrement nous risquerons de bâtir et sans proportion. »

Archives parlementaires / BNF - Gallica

 

23 Février 1790 – La Lecture en Chaire des Décrets de l’Assemblée nationale

 

Des émeutiers propagent de faux décrets pour commettre des violences. Selon le dictionnaire de la Révolution, déjà cité :

 

« … On pourrait ainsi citer plusieurs milliers d’émeutes, souvent sanglantes, entre 1789 et 1799, à travers toute la France… »

 

Pour éviter cette propagation et pour que nul ne soit censé ignorer la loi, le pouvoir exécutif se sert du premier media de masse de l’époque : le prône. Ce dernier se déroulait, entre l’Évangile et le Credo, le dimanche à la grand’messe paroissiale, et comprenait l’homélie, précédée d’un élément non liturgique.  La meilleure définition, François Bluche nous la donne dans son dictionnaire du Grand Siècle :

 

« PRÔNE. Allocution faite le dimanche en chaire, à la grand-messe, dans les églises paroissiales catholiques. Dans les meilleurs cas le prône accompagne l'homélie (commentaire simple de l'évangile du jour) ; en général le prône tient lieu à lui seul de sermon. Le curé y annonce les fêtes (« et monsieur le curé / De quelque nouveau saint charge toujours son prône » ; La Fontaine) et les jeûnes ; y fait la publication des bancs de mariage, lit les monitoires et lettres pastorales venus de l'évêque, admoneste souvent nominativement ses ouailles, et ne craint pas d'y ajouter les annonces des terrains à vendre ou à louer, ainsi que des enchères. Le prône est le symbole de la religion au quotidien ; il joue un rôle capital dans la sociabilité  surtout au village. »

 

Cette loi anti-émeute comprend plusieurs articles dont je vous extrais les deux premiers : ceux du projet et ceux du décret, après discussion :

 

« Ce projet est conçu dans ces termes :

 L’Assemblée nationale, considérant que les ennemis du bien public ont trompé le peuple, en distribuant de faux décrets, au moyen desquels il s’est cru autorisé à commettre des violences contre les propriétés et même contre les personnes dans quelques provinces, a décrété ce qui suit :

1°  À l’avenir, nul citoyen, sans distinction, ne pourra, dans aucun cas, s’autoriser des décrets de l’Assemblé nationale, s’ils ne sont sanctionnés par le Roi, publiés par ordre des municipalités et lus au prône des messes paroissiales ;

 2° Le pouvoir exécutif enverra incessamment l’Adresse de l’Assemblée nationale aux Français et tous 1es décrets acceptés, sanctionnés ou approuvés par le Roi, à mesure qu’ils auront été rendus, aux diverses municipalités du royaume, avec ordre aux curés et vicaires desservant les paroisses de les lire au prône; »

Projet / Archives parlementaires / BNF - Gallica

 

« Art. Ier Nul ne pourra, sous peine d'être puni comme perturbateur du repos public, se prévaloir d'aucun acte prétendu émané du Roi ou de l'Assemblée nationale, s'il n'est revêtu des formes prescrites par la constitution, et s'il n'a été publié par les officiers chargés de cette fonction.

Art. 2  Le Roi sera supplié de donner des ordres pour faire parvenir incessamment à toutes les municipalités du royaume le discours que Sa Majesté a prononcé dans l'Assemblée  nationale le 4 de ce mois, l'adresse de l'Assemblée nationale aux Français, ainsi que tous les décrets, à mesure qu'ils seront acceptés ou sanctionnés, avec ordre aux officiers municipaux de faire publier et afficher les décrets sans frais, et aux curés, ou vicaires desservant les paroisses, d'en faire lecture au prône. »

Décret / Archives parlementaires / BNF - Gallica

 

17 Mars 1790 – La Vente des Biens ecclésiastiques par les Municipalités

 

Pour soulager la conscience des acquéreurs de biens de l’Église, spoliée par l’État, la Nation les vend aux municipalités. Par cet artifice, les nouveaux propriétaires ne commettent pas de recel, puisqu’ils n’acquièrent pas des biens ecclésiastiques, mais des biens municipaux.

 

« Lecture faite de tous les articles votés, l'Assemblée rend le décret suivant.

L'Assemblée nationale décrète :

1° Que les biens domaniaux et ecclésiastiques, dont elle a précédemment ordonné la vente, par son décret du 19 décembre, jusqu'à la concurrence de 400 millions, seront incessamment vendus et aliénés à la municipalité de Paris, et aux municipalités du royaume auxquelles il pourrait convenir d'en faire l'acquisition ; »

Archives parlementaires / BNF - Gallica

 

29 Mars 1790 – Pie VI Condamne la Déclaration des Droits de l’Homme

 

Cette condamnation le pape Pie VI la renouvellera, le 23 avril 1791, dans son encyclique Adeo nota. Trois autres papes suivront son exemple :

 

Ø Grégoire XVI dans son encyclique Mirari vos

Ø Pie IX dans le Syllabus

Ø Léon XIII dans son Encyclique Diuturnum illud sur l’origine du pouvoir civil.

 

En résumé, droits de Dieu ou droits de l’homme, ordre ou désordre …

L’homme-roi à la place du Christ-roi.

 

13 Mai 1790 – Le Décès de Martin Lhuillier

 

Compulsons les registres paroissiaux et arrêtons-nous au 13 mai 1790 :

 

« L'an mil sept cent quatre vingt dix le treize mai jour de l'Ascension  - soit un jeudi -  est décédé en notre Seigneur à une heure du matin dans sa soixante sixieme année de son âge
et muni des sacrements de l'Église Monsieur Martin Lhuillier prêtre et curé de Moulins et de Ste Rufine son annexe, lequel a été solemnellement inhumé le lendemain après la messe et les obsèques chantés
(sic) par Messieurs les curés ses confreres et en leur presence et de toute la paroisse, lesquels ont signé… »

 

Et suivent les signatures de dix confrères que je vous donne par ordre alphabétique, ainsi qu'avec leur titre :

 

Ø Dupleit, Jean-Louis, curé de Lessy et de Plappeville

Ø Duverdier, curé d'Ancy

Ø Jenot, Nicolas-François, curé de Jussy et de Vaux

Ø Le Moyne, Marc-René-Louis, curé de Châtel

Ø Lhuillier, Jean-François, curé de Saint-Livier de Metz

Ø Robert, Jean, curé de Rozérieulles

Ø Rollin, Claude, vicaire de Vaux

Ø Saudon, Jean-Nicolas, curé d'Ars

Ø Simon, Joseph-Nicolas, administrateur d'Amanvillers

Ø Tourelle, Nicolas, vicaire de Moulins et de Sainte-Ruffine.

 

Deux desservants du voisinage de Moulins n'assistent pas aux obsèques de notre curé patriote :

 

Ø Jean-François Poncin, curé de Scy

Ø Joseph Collignon, vicaire de Longeville.

 

L'année suivante, les curés patriotes prêteront le serment à la Constitution Civile du Clergé - décret du 27 novembre 1790 - tandis que nos deux absents feront partie des prêtres réfractaires, les bien- pensants.

Cette cérémonie religieuse, marquée par l'absence de deux confrères, préfigure le schisme qui va secouer l'Église de France pendant une dizaine d'années : l'opposition des prêtres réfractaires (qui oublient le précepte évangélique de rendre à César ce qui est à César, etc.) aux  prêtres constitutionnels. Charité chrétienne oblige ! …

Mais revenons à la brochette de curés patriotes, Jean-Louis Dupleit, curé de Lessy, Nicolas-François Jenot, curé de Jussy et de Vaux, archiprêtre du Val de Metz, Jean-François Lhuillier, curé de Saint-Livier, et ajoutons à ces personnages le successeur de notre desservant, Jean-François Jenot, pour nous apercevoir que Jean-Louis Dupleit, Jean-François Jenot, Nicolas-François Jenot et Jean-François Lhuillier participent à l’élaboration du cahier de doléances du clergé du bailliage de Metz et que Jean-François Jenot et Nicolas-François Jenot siègent à l’assemblée de réduction du clergé. Ces curés, plus instruits que leurs confrères et mandatés par ces derniers, réussirent à éliminer Louis-Joseph de Montmorency-Laval, premier baron chrétien, évêque de Metz, Grand Aumônier du roi, cardinal et abbé de plusieurs abbayes.

 

Archives municipales de Moulins / Registres paroissiaux

 

18 Mai 1790 – Jean-François Jenot Curé de Moulins

 

Jean-François Jenot naît, le 31 décembre 1734, à Briey, d'un père avocat. Il étudie à l’université de Paris et quitte l'université avec le titre de maître ès arts. Ordonné prêtre, le 10 avril 1762, il obtient la cure de Chesny, le 26 janvier 1766. L'assemblée de réduction, réunie à Metz, le 15 avril 1789, pour désigner le député et le suppléant du clergé du bailliage de Metz aux états généraux, le nomme suppléant de l'abbé François Martin Thiébault, curé de Sainte-Croix de Metz et ancien supérieur du grand séminaire de Metz. Ce dernier démissionne, le 4 novembre 1789, et cède sa place à l'abbé Jean François Jenot qui siège ainsi à la Constituante. Entre temps, la cure de notre paroisse, devenue vacante par le décès de l'abbé Martin Lhuillier, survenu le 13 mai 1789, lui échoit, le 18 mai de la même année. Son frère Nicolas-François, curé de Jussy et de Vaux, archiprêtre du Val de Metz, assiste aux obsèques du curé de Moulins.

 

...

...

 

Comme suppléant J.-F. Jenot est curé de Chesny

et comme député, curé de Moulins /

Archives parlementaires / BNF - Gallica

 

12 Juillet 1790 - La Constitution civile du Clergé

 

Dans le courant du mois de mai 1790, le Comité ecclésiastique de l'Assemblée nationale paracheva son oeuvre de réorganisation de l'Église de France et en déposa le projet sur le bureau de l'Assemblée, le 29 du même mois. De ce jour au 12 juillet, soit durant 6 semaines, l’Assemblée vota, article par article, la Constitution civile du clergé. Ce chef d'oeuvre d'organisation, d'administration et de législation, partagé en quatre articles, adaptait l'Église à l'ordre nouveau et contenait des réformes salutaires.

Le royaume de France comprenait dix-huit métropoles (archevêchés) ; la Constitution civile du clergé en ramenait le nombre à dix. Quatre-vingt-trois nouveaux diocèses remplaçaient les cent trente-deux de l'ancien régime et correspondaient à la nouvelle organisation administrative du royaume du 15 janvier précédent - création des départements. À l'échelon des paroisses, les plus grandes furent scindées, les plus petites réunies.

La nouvelle  constitution  garantissait un  traitement fixe à chaque niveau de la hiérarchie, mais n'accordait aucun émolument aux dignitaires qui n'avaient pas charge d'âmes. Elle exigeait la stricte obligation à résidence ; conforme en cela aux recommandations du Concile de Trente. Pour supprimer l'absentéisme, elle retenait, sur les traitements, une somme proportionnelle aux journées d'absence.

L'institution canonique marquait la rupture définitive avec Rome et le Concordat de 1516. Désormais, le corps électoral de la Nation - catholiques et non catholiques - élisait son pasteur à l'échelon départemental. Dans les communes, même processus : les électeurs nommaient aux cures. Une fois élus, les évêques recevaient l'institution de leur archevêque ; les curés, celle de leur évêque. En aucun cas, l'évêque élu ne devait la demander au Saint-Siège. Mais, simple marque de courtoisie, il informait, a posteriori, ce dernier de sa nomination. Cette réorganisation de l'Église de France, oeuvre de clercs et de juristes, reflétait l'esprit des libertés gallicanes.

 

24 Août 1790 – La Promulgation du Décret du 12 Juillet 1790

 

Pour lui conférer sa validité, le roi devait sanctionner et promulguer le décret du 12 juillet.1) Comme à son habitude, Louis XVI tergiversa. Malgré son aversion pour la Constitution civile, le souverain que sa conscience de bigot mettait dans une situation angoissante apposa sa signature au bas de cette loi, après dix jours d'anxiété. Le lendemain 23 juillet, un message de Pie VI, daté du 10 juillet, le conviait à ne pas accepter la Constitution. Soulagé, il en interdit la publication. Mais, pressé par l'Assemblée, après un nouveau mois d'angoisse, et dans le plus grand désarroi, cet homme, faible et indécis, autorisait sa promulgation, le 24 août 1790.

Désemparé, le haut clergé tourna les yeux vers Rome, mais attendit en vain, un signe quelconque. Trente évêques, députés du clergé, tentèrent de forcer la décision de Pie VI et publièrent, à cet effet, le 30 octobre 1790, une Exposition des principes des évêques sur la Constitution civile du Clergé , rédigée par Boisgelin, archevêque d’Aix. Quatre-vingt-treize de leurs collègues y souscrivirent par la suite, soit  cent vingt-trois prélats sur cent trente-quatre (92 %).

1) Le pouvoir législatif légifère et présente le décret au pouvoir exécutif qui promulgue la loi.

 

27 Novembre 1790 - La Motion Voidel

 

Adversaires et partisans de la Constitution se combattaient avec acharnement et lançaient brochures sur brochures. De leur côté, les évêques publiaient des mandements contre la nouvelle organisation de l'Église de France. Toute cette effervescence retardait la mise en application du décret du 12 juillet 1790. Pour mettre un terme à toute opposition, un député mosellan, Jean Georges Charles Voidel, avocat à Morhange, et député de Sarreguemines, déposa une motion, le 26 novembre, à l'Assemblée. Le serment à la Constitution civile du Clergé serait prêté dans la huitaine par les évêques, curés, vicaires, professeurs des séminaires et des collèges. Le refus entraînerait la perte de leurs fonctions. Le lendemain, l'Assemblée adopta le décret que le roi ratifia, le 26 décembre :

 

« Article Ier - ... ils jureront de veiller avec soin sur les fidèles du diocèse, de la paroisse qui leur est confiée, d'être fidèles à la nation, à la loi et au roi, et de maintenir de tout leur pouvoir la constitution décrétée par l'Assemblée nationale et acceptée par le roi ...

Article 3  - Le serment sera prêté un jour de dimanche à l'issue de la messe, ... par les curés, leurs vicaires et tous autres, fonctionnaires publics, dans l'église de leur paroisse, et tous en présence du conseil général de la commune et des fidèles. A cet effet, ils feront par écrit, au moins deux jours d'avance, leur déclaration au greffe de la municipalité de leur intention de prêter le serment et se concerteront avec le maire pour en arrêter le jour.

 Article 4 - Ceux des dits évêques ci-devant archevêques, curés et autres membres de l'Assemblée nationale et qui y exercent actuellement leurs fonctions de députés, prêteront le serment qui les concerne respectivement, à l'Assemblée nationale dans la huitaine du jour auquel la sanction du présent décret y aura été annoncée; et dans la huitaine suivante ils enverront un extrait de la prestation de leur serment à leurs municipalités. »

 

27 Décembre 1790 – La Première Prestation de Serment

 

Dès le lendemain de la promulgation du décret du 27 novembre 1790, un ancien élève du grand séminaire de Metz, l'abbé Henri Grégoire, curé d'Embermesnil (Meurthe ), futur évêque constitutionnel du Loir-et-Cher, monta à la tribune, invita ses collègues députés à l'imiter et prêta le fameux serment.

Deux autres prêtres lorrains donnèrent l'exemple au clergé de France et firent leur prestation de serment, au cours de la même séance : l'abbé Aubry, curé de Véel (Meuse), futur évêque constitutionnel de ce département, et l'abbé Jean François Jenot, curé de Moulins, futur martyr sur les pontons de Rochefort.

 

Serment de Jean-François Jenot / Archives municipales de Moulins

 

Copie du document des archives municipales :

 

« PAR EXTRAIT

Nous soussignés Président et Secrétaire de l'assemblée Nationale ; certifions que Me Jénot Curé de Moulin près Metz département de la Mozelle a prêté le vingt Décembre 1790, séance du matin son serment civique dans les termes prescrits par les Décrets de l'assemblée du 27 9bre 1790, ainsi qu'il est porté dans le procès verbal dudit jour. En foi de quoi Nous lui avons délivrés le présent certificat et y avons fait apposer le seau de l'assemblée Nationale.

A Paris ce 29 Xbre 1790, et ont lesdits Président et secrétaires signés.

Registré à Moulin le quatre janvier 1791.

Collationné signé D. Bouchy

Greffier »

 

Jean-François Jenot ne peut prêter son serment le « vingt » décembre, puisque le décret du 27 novembre de l’Assemblée nationale n’est promulgué par le roi que le 26 décembre. S’agit-il d’une erreur du secrétariat de l’Assemblée nationale ou d’une erreur de transcription du greffier de la municipalité de Moulins, qui … avant de signer  … collationne le document ? Mais compulsons les archives parlementaires :

 

« M. l'abbé Grégoire monte à la tribune et dit :

Messieurs, disposé ainsi qu'un grand nombre de confrères, à prêter le serment ordonné par votre décret du 27 du mois dernier, per­mettez  qu'en leur nom je développe quelques idées, qui peut-être ne seront pas inutiles, dans les circonstances actuelles… 

M. l’abbé Grégoire prête ensuite le serment dans les termes suivants, prescrit par l’Assemblée, dans son décret du 27 novembre 1790 :

 

« Je jure de veiller avec soin aux fidèles dont la direction m’est confiée. Je jure d’être fidèle à la nation, à la loi et au roi. Je jure de maintenir de tout mon pouvoir la Constitution française et notamment les décrets relatifs à la constitution civile du clergé. » (On applaudit à diverses reprises.)

 

Un grand nombre de MM. les curés, ses confrères et autres ecclésiastiques fonctionnaires publics, s’empressent de lui succéder, et prêtent comme lui le même serment…

 

Dont

 

…  Aubry, curé de Véel, député du département de la Meuse, … (Futur évêque constitutionnel de la Meuse)

 

… Genot, (sic) curé de Moulins près de Metz, département de la Moselle, … »

 

Prestation de serment du 27 décembre à l’Assemblée nationale / Archives parlementaires / BNF - Gallica

 

21 Janvier 1791 – L’Instruction sur la Constitution civile du Clergé

 

Pour contrecarrer la motion Voidel, l'ensemble de l'épiscopat français adopta un mandement de l'évêque de Boulogne et le fit publier dans leurs diocèses  respectifs, assorti d'un mandement personnel. Les évêques entrèrent ainsi dans l'illégalité et demandèrent à leurs subordonnés de les suivre. Alors commença la valse-hésitation de nombreux curés et vicaires : être fidèles à la Nation ou à Monseigneur...

Aussi, pour éclairer les hésitants, le Comité ecclésiastique rédigea-t-il une Instruction sur la Constitution civile du Clergé que l'Assemblée adopta le 21 janvier 1791 et que le roi sanctionna le 26 courant.

Dans cette Instruction, l'Assemblée affirme son attachement à l'Église, sa volonté de ne pas toucher à la foi ainsi que son zèle à assurer l'entretien du culte et le traitement de ses ministres. Le décret prévoit, entre autres, la lecture de l'Instruction « un jour de dimanche, à l'issue de la messe paroissiale, par le curé et le vicaire, et, à leur défaut, par le maire ou le premier officier municipal ».

 

Au printemps, quatre évêques avaient souscrit à la loi ainsi que la moitié du bas clergé, malgré les pressions de la hiérarchie. L'ensemble des sièges épiscopaux devinrent vacants ainsi que la moitié des cures paroissiales. À la fin du mois de mai, toutes les nouvelles structures se trouvaient en place :

 

« Instruction de l'Assemblée nationale sur l’organisation civile du clergé.

L'Assemblée nationale a décrété une instruction sur la constitution civile du clergé ; elle a voulu dissiper des calomnies. Ceux qui les répandent sont ennemis du bien public ; et ils ne se livrent à la calomnie avec hardiesse, que parce que les peuples, parmi lesquels ils la sèment, sont à une grande distance du centre des délibérations de l’Assemblée.

L'Assemblée nationale décrète que l'ins­truction sur la constitution civile du clergé, lue dans la séance de ce jour, sera envoyée sans délai aux corps administratifs, pour l’adresser aux municipalités, et qu’elle sera, sans retardement, lue un dimanche, à l'issue de la messe paroissiale, par le  curé ou un vicaire ; et, à leur défaut, par le maire ou le premier officier municipal.

Elle charge son président de se retirer, dans le jour, devers le roi, pour le prier d'accorder sa sanction au présent décret, et de donner les ordres les plus positifs pour sa plus prompte expédition et exécution.

(Dans le tumulte, on entend invoquer la question préalable et plusieurs membres crier : Aux voix) »

Archives parlementaires  / BNF – Gallica

 

20 Février 1791 - Nicolas Tourelle prête serment à Sainte-Ruffine

 

Abandonnons Moulins pour nous rendre à Sainte-Ruffine, annexe de la paroisse de Moulins. Nicolas Tourelle naît le 10 décembre 1762 à Beaumont, paroisse de Hatrize (alors diocèse de Metz). Ordonné prêtre le 19 septembre 1789 et nommé vicaire résident à Sainte-Ruffine, il y célèbre sa première messe en janvier 1790.

Au cours de l'automne 1790 et de l'hiver qui suit, certains mémoires invitent les prêtres à accepter la Constitution civile du Clergé. D'autres, par contre, les incitent à la désobéissance civique. Dans son mandement du 1er décembre 1790, adressé à son suffragant, Monseigneur d'Oroppe, le 24 décembre 1790, Mgr. de Montmorency-Laval, évêque de Metz et Grand-Aumônier du Roi, s'oppose au décret du 12 juillet 1790. Comme tout décret, promulgué par le roi, devient loi de la Nation, l'évêque de notre diocèse, par son mandement, entre dans l'illégalité et demande à ses subordonnés de le suivre.

Nicolas Tourelle, jeune vicaire, hésite, comme la plupart de ses confrères, entre la fidélité à l'égard de la Nation et la fidélité à l'égard de son supérieur diocésain. Devant la valse-hésitation de nombreux prêtres, l'Assemblée nationale rédige la fameuse Instruction du 21 janvier 1791, comme précédemment dit. Ce nouveau décret incite le jeune vicaire à prêter le serment. Aussi se présente-t-il, le mercredi 16 février 1791, à la mairie de Sainte-Ruffine et déclare que « son intention était de prêter le serment dimanche prochain ».

 

Nicolas Tourelle / Archives municipales de Sainte-Ruffine / 16 février 1791

 

Nicolas Tourelle / Archives municipales de Sainte-Ruffine / 21 février 1791

 

10 Mars 1791 – La  Condamnation publique de la Constitution civile du Clergé

 

Nous devons considérer le mutisme ou l'attentisme de Rome comme un acte éminemment politique. Le 22 juillet 1790, l'Assemblée créa un « Comité d'Avignon » pour étudier le problème des enclaves pontificales. Dans un premier temps, Pie VI, pour conserver Avignon et le comtat Venaissin, négligea le spirituel et ne pensa qu'à la sauvegarde des intérêts temporels de l'Eglise.

Par deux brefs successifs, « Quod Aliquantum » (10 mars 1791) et « Caritas » (13 avril 1791), le souverain pontife fulmina sa sentence. Comme prévu par la Curie, la Nation réagit avec vigueur. Elle rompit, le 15 mars 1791, les relations diplomatiques avec le Saint-Siège et, première conquête territoriale de la Révolution, elle annexa Avignon et le Comtat Venaissin. Le haut clergé pensait que l'intervention pontificale amènerait le bas clergé à résipiscence. Le contraire se produisit. La fulmination, loin de calmer les esprits, engendra un schisme : les jureurs dans l'Église constitutionnelle, les réfractaires dans l'Église romaine.

Désormais, dans notre pays, les passions religieuses s'ajoutèrent aux passions politiques, et commença une guerre de religion qui ne prit fin qu’avec le concordat du 15 juillet 1801.

 

30 Septembre 1791 – La Dernière Séance de l’Assemblée constituante

 

Les Constituants avaient donné une Constitution à la France. Convaincus que leur travail était achevé, la Révolution n’avait plus lieu de se poursuivre. Aussi démissionnèrent-ils tous, ne se présentèrent-ils pas à la nouvelle Assemblée (la Législative) et lui laissèrent-ils le soin de parachever leur œuvre. En compagnie de l’abbé Jean François Jenot, assistons à cette dernière séance de l’Assemblée nationale constituante :

 

« M. le président annonce que le roi est en marche pour se rendre à l’Assemblée.

(La délibération est suspendue jusqu'à l'arrivée du roi : il est trois heures.)

Un huissier : Le roi ! Le roi !

L'Assemblée se lève et se découvre.

Le roi entre dans la salle, précédé de la dé­putation de l'Assemblée et accompagné des ministres ; il prend place devant le bureau, le Prési­dent à sa droite, les ministres derrière lui.

(La salle et les tribunes retentissent d'applau­dissements et de cris répétés de : Vive le roi!)

Le roi s'exprime ainsi :

Messieurs,

Après l'achèvement de la Constitution, vous avez fixé ce jour pour le terme de vos travaux. Il eût peut-être été à désirer que cette session, se prolongeât encore quelque temps, pour que vous. puissiez vous-mêmes, pour ainsi dire, essayer votre ouvrage et ajouter à vos travaux ceux qui, déjà préparés, n'avaient plus besoin que d'être perfectionnés par les lumières de l'Assemblée, ceux dont la nécessité se serait fait sentir à des législateurs, éclairés par l’expérience de près de 3 années ; mais vous  avez sûrement pensé qu'il importait de mettre le plus petit intervalle pos­sible entre l’achèvement de la Constitution et la fin des travaux du corps constituant, afin de mar­quer avec plus de précision, par le rapprochement, la différence qui existe entre les fonctions du corps constituant et les devoirs des législa­teurs.

M. le Président répond :

Sire,

L'Assemblée nationale, parvenue au terme de sa carrière, jouit en ce moment du premier fruit de ses travaux.

Convaincue que le gouvernement qui convient le mieux à la France est celui qui concilie les prérogatives respectables du trône avec les droits inaliénables du peuple, elle a donné à 1’Etat une Constitution qui garantit également et la royauté et la liberté nationale.

Les destinées de la France sont attachées au prompt affermissement de cette Constitution ; et tous les moyens qui peuvent en assurer le succès se réunissent pour l'accélérer.

Le roi sort de l'Assemblée, avec le même appareil qu’à l'arrivée, au milieu des applaudissements  les plus vifs et des cris longuement répé­tés, de Vive le roi !

M. le Président de l'Assemblée nationale con­stituante déclare que sa mission est finie et que les séances sont terminées. (Vifs applaudisse­ments.)

M. Target, secrétaire, fait lecture du procès- verbal de la séance de ce jour, qui est adopté.

M. le Président lève la séance à quatre heures. »

Archives parlementaires  / BNF – Gallica